C'est au cours des années 1980 que le terme parentalité passe dans le langage courant et se trouve de plus en plus employé dans les médias, mais aussi dans les discours politiques. On peut avoir alors l’impression que ce néologisme appelé à un grand succès s’est élaboré dans ces moments-là, pour désigner la nouvelle importance accordée aux relations parents-enfant et à ce qui fait la spécificité de la relation parentale. Il vient opportunément relayer le terme à la fois trop précis et trop connoté de fonction parentale. Sans doute un tel succès tient-il à l’évidence trompeuse sur laquelle ce terme semble s’appuyer. L’adjonction du suffixe ité à « parental » permet d’en désigner une « nouvelle » dimension, qui serait à distinguer de la parenté. Cette construction de néologisme tente de répondre à un besoin de désignation d’une réalité de la relation parents-enfant non encore véritablement construite, mais sa mise en phase avec le sens commun occulte ses utilisations antérieures, et le fait qu’aucune définition qui fasse consensus dans le milieu scientifique n’ait jusque-là été produite. C’est l’époque où est introduit le terme monoparentalité pour désigner ces situations où l’enfant est élevé par un seul de ses parents de façon quotidienne, alors que l’autre, la plupart du temps toujours présent, ne le voit plus qu’épisodiquement. C’est aussi l’époque où le terme se répand dans les écrits pour désigner toutes sortes de situations parentales : beau-parentalité, grand-parentalité, homoparentalité, autrement dit, pluriparentalité. À partir de ce moment-là, de nombreux livres vont y faire référence dans leur titre même : les premiers qui remettent ce terme à l’honneur se situent plutôt du côté des sciences sociales et de l’action sociale. En 1986, la revue Actions et recherches sociales emploie le terme pour évoquer « La famille instable : parentalité, conjugalité, sociabilité familiale aujourd’hui ; en 1990 Vincent de Gaulejac et Nicole Aubert parlent de la « parentalité solitaire » ; en 1991 paraissent les Actes des journées sur le placement familial, qui évoquent « la parentalité dans le soin à l’enfant déplacé ». Le nouvel intérêt social pour la notion de parentalité se trouve impulsé par cette approche sociologique, à la suite des travaux sur les mutations familiales, notamment ceux initiés par la CNAF sur « les familles monoparentales ». Mais la problématique va être rapidement réinvestie par les approches plus psy, qui mettent en avant leur utilisation antérieure, beaucoup plus spécialisée, du terme. Ce qui va contribuer à accentuer son audience auprès de l’action sociale. L’intérêt qu’y portent les politiques publiques dès le milieu des années 1990 se traduit par la tentative d’utiliser ces deux approches, apparemment peu conciliables, dans une perspective gestionnaire. En tout cas, de 1999 à 2002 paraissent pas moins de dix-huit livres qui nomment la parentalité. Le terme est désormais acquis et voit se multiplier les ouvrages qui l’utilisent sans trop de précautions dans une perspective opérationnelle. Parentalité en question, en tensions, sans violence, efficace, ouverte à l’action éducative, à la pédagogie et la culture d’elle-même…, le pli est pris. L’action sur et à travers la parentalité est à l’ordre du jour, et se multiplient les colloques et les journées de formation centrés sur le soutien et l’accompagnement à la parentalité. Dans le grand public, l’usage se répand pour désigner vaguement quelque chose qui serait de l’ordre de la condition parentale , l’art d’être parent en quelque sorte, mais des dissonances se font parfois entendre dans les médias, notamment lorsque ceux-ci sacrifient à leur tendance à légitimer leurs discours par des références à des travaux considérés comme scientifiques. La science, en effet, est devenue le grand référentiel des sociétés démocratiques, ayant supplanté le référentiel religieux, voire le référentiel moral, sans être à l’abri pour autant de certains « retours du refoulé » plus ou moins fortement dramatiques, comme on a pu l’apprécier récemment avec la « Manif pour tous », les virulentes dénonciations des méfaits supposés d’une pseudo-théorie du genre à l’école, et, surtout, le massacre perpétré dans les locaux de Charlie Hebdo… Les médias, donc, tiennent à donner à leur discours, lorsqu’ils le peuvent, le vernis d’une supposée caution scientifique, en interrogeant les multiples représentants des sciences humaines et sociales sur des sujets mettant en jeu la parentalité. Et paradoxalement, c’est là que les choses semblent s’obscurcir, car vous, nous, ils, représentants desdites sciences, n’emploient pas ce mot au hasard mais selon les codes et les jalons des disciplines dont chacun se réclame. Si se dégage parfois de ces confrontations une impression de confusion, c’est qu’au gré des divergences inter et intradisciplinaires d’interprétation, peuvent se manifester des contradictions, incompréhensions ou désaccords. La raison en est simple, c’est que la notion de parentalité a déjà une longue histoire traversant plusieurs disciplines, et chaque nouvelle appréhension a apporté un éclairage nouveau, spécifiant une approche, et se superposant aux plus anciennes. S’est ainsi opérée une espèce de sédimentation d’appréhensions différentes du terme, qui peuvent dans le discours public être sollicitées à tour de rôle ou parfois toutes ensemble, ou être, au contraire, ignorées, lorsque le propos veut se situer au niveau le plus prosaïque de l’expérience parentale. Extrait d'un écrit de Gérard Neyrand dans le livre "Dis Gérard, c'est quoi, la parentalité ?"
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AuteurElisabeth BAZIN, Archives
April 2025
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