A la question : « Quelle est la meilleure place dans la fratrie ? », du temps du droit d’aînesse, la réponse était simple. C’était celle de fils aîné, héritier du patrimoine, les cadets ayant le choix entre l’armée, l’Eglise ou l’exploration du vaste monde. Il n’en va pas de même aujourd’hui, où les enfants sont, aux yeux de leurs parents, des êtres uniques et irremplaçables avant d’être des aînés, des cadets, des benjamins.
« D’ailleurs, pose Françoise Peille, psychologue spécialiste de l’enfance, avec la disparition des familles nombreuses, le rang dans la fratrie compte désormais moins que les relations conscientes et inconscientes tissées entre parents et enfants. Dans les familles de six enfants et plus, les aînés étaient d’authentiques substituts parentaux. Alors qu’aujourd’hui dans les fratries de deux ou trois, les frères et sœurs sont avant tout des rivaux. » Bien des cadets ne peuvent s’empêcher de penser que leurs aînés ont eu plus de chance : plus âgés, ces derniers jouissaient de privilèges tels que le droit de se coucher plus tard, de sortir seuls. L’aîné, lui, se souvient des servitudes inhérentes à sa place : supporter ses cadets, ces intrus qui ont bouleversé sa vie. En fait, aucune place n’est plus propice qu’une autre pour la construction de soi. Chacune oblige à faire face à des difficultés spécifiques. « Lorsque, dans une réunion de travail, l’un des participants se pose d’emblée en organisateur des débats, il s’agit presque à coup sûr d’un aîné, il se comporte comme il le fait depuis son enfance vis-à-vis de ses cadets », constate Françoise Peille. Notre place dans le monde adulte serait-elle donc déterminée, ou pire, prédéterminée par notre rang de naissance : aîné, cadet, petit dernier ? C’est en tout cas la thèse défendue par Frank J. Sulloway, professeur d’histoire des sciences au sein du département des sciences cognitives du Massachusetts Institute of Technology. Selon ce sociobiologiste américain, convaincu que nos gènes nous dictent nos comportements, quand naît un cadet, l’aîné s’efforce de conserver sa place et ses acquis : il lutte pour survivre. Par conséquent, tout aîné est prédéterminé, il deviendra un défenseur de l’ordre établi et un ennemi acharné du changement. En revanche, les cadets, qui ont dû lutter pour conquérir leur place, ont « naturellement » l’esprit ouvert et adhèrent avec enthousiasme à toutes les idées nouvelles, surtout si elles promettent de bouleverser l’humanité. Ce sont des rebelles-nés ! « Aujourd’hui encore, parce qu’ils ont souvent le rôle de substituts parentaux, les aînés ont davantage le sens des responsabilités, rendent plus facilement service », confirme Françoise Peille. Mais il faut aussi compter avec les difficultés inhérentes à cette première place. Installé trop tôt en position de gardien de ses frères, l’aîné risque de se couper prématurément de son enfance et de se croire plus responsable qu’il ne l’est – un leurre qui, justement, lui interdira de mûrir à son rythme et de poser ses propres désirs. En outre, dans les fratries de deux enfants – la norme aujourd’hui – les rivalités sont intenses, surtout si les deux sont du même sexe. Et l’aîné en sort rarement indemne. « Je refuse de généraliser, mais un nombre important d’aînés que je rencontre actuellement éprouvent des difficultés à trouver leur place une fois devenus adultes, explique le psychothérapeute Gérard Louvain. Dans leur imaginaire, tout se passe comme si quelqu’un allait les déposséder de la carrière ou de la relation qu’ils ont construite. C’est le complexe de Caïn, réduit au rang de second alors qu’il aurait voulu être le premier partout. » Le problème de l’aîné est de ne pas avoir d’aîné : de manquer d’un modèle de la même génération. article écrit par Isabelle Taube. |
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