Voici un extrait d'un article écrit par Laurence Lemoine dans la revue Psychologie, le 24 avril 2018.
L’inceste, l’ignorance sur sa filiation, la prison comptent parmi les secrets de famille les plus lourds et les plus fréquents. Voici trois drames exemplaires qui illustrent comment le secret hante les membres d’une famille sur plusieurs générations. L’histoire de Christine et de sa fille, Julie, met en lumière une vérité pourtant guère évidente : un enfant finit toujours par savoir -inconsciemment- ce qu’on essaie de lui dissimuler. Or ce savoir inconscient peut générer des symptômes graves et des conduites souvent plus dangereuses que le secret lui-même. Nadia, elle, n’a pas vécu dans sa chair – comme sa sœur – les assauts d’un père incestueux. Pourtant, elle s’estime également " victime du secret ". A l’écouter, on comprend clairement que, lorsque l’inceste survient, tout le clan familial est atteint et se trouve coupé du monde, des autres : de ceux qui ne savent pas. Elle nous fait entendre que, si la guérison passe par la mise à jour de l’indicible, la révélation ne suffit pas : il faut ensuite se délivrer du traumatisme et se reconstruire. Quant à Marthe, qui ignore qui est son père, elle nous renvoie à une réalité douloureuse : quelques-uns d’entre nous doivent accepter l’idée qu’une part d’eux-mêmes, de leur histoire, est condamnée à rester dans l’ombre. Certains secrets demeureront secrets, et il appartient à celui qui s’y trouve confronté de trouver sa propre solution pour s’en arranger. Sans que personne ne puisse lui dire ce qu’il doit faire ou penser. “Cacher à ma fille que mon père avait fait de la prison, quelle erreur !” Christine, 40 ans "Julie était une enfant sans histoire, raconte Christine. A 13 ans, elle a commencé à mentir sans arrêt. J’ai d’abord mis ça sur le compte de l’adolescence. Puis, je me suis aperçue qu’elle me volait de l’argent. Là, j’ai compris qu’elle se droguait. Son père et moi lui avons fait suivre une cure de désintoxication. A la rentrée suivante, elle est retournée au lycée. Mais les problèmes ont continué. A la fin de l’année scolaire, nous avons appris qu’elle redoublait (elle avait intercepté tous les courriers du lycée qui signalaient ses absences). Elle faisait ses coups en douce. Je n’avais plus confiance en elle et ne savais plus quoi faire. L’année de ses 15 ans, nous sommes allés consulter un thérapeute familial. Comme notre mésentente conjugale occupait le devant de la scène, nous avons décidé ensemble que Julie irait passer l’été chez ma mère, veuve depuis quelques années, tandis que mon mari et moi nous efforcerions de renouer le dialogue. Mais, dès la fin du mois de juillet, ma mère a déclaré forfait. Elle avait surpris Julie en train de fouiller dans ses tiroirs et elle était persuadée qu’elle avait tenté de la voler. Début septembre, nous avons eu une nouvelle séance de thérapie. Julie niait farouchement les faits. Elle disait qu’elle avait voulu aider sa grand-mère à faire du rangement. Puis, nous avons évoqué les grands-parents de Julie. J’ai alors expliqué que mon père était un “faiseur d’anges”, mais que c’était quelqu’un de bien parce qu’il avait aidé des femmes en difficulté à avorter. C’est là que Julie s’est écriée : “Tellement bien qu’il a fait de la taule !” Interloquée par sa découverte, j’ai fondu en larmes. Je n’avais pas caché à Julie les activités de mon père. Mais ce que je ne lui avais jamais dit, c’est qu’il se faisait grassement payer pour ses services. Je trouvais ça dégoûtant. Du coup, je lui avais caché la prison. Je ne voulais pas que ce grand-père, que Julie adorait, soit un mauvais exemple. Je n’avais pas prévu qu’elle ferait du “rangement” chez ma mère. C’est là qu’elle a trouvé des lettres échangées lors du séjour de mon père en prison. En lui taisant cet épisode, je m’étais doublement trompée. D’abord en croyant qu’elle ne découvrirait jamais mon secret et, ensuite, en pensant que celui-ci pourrait la protéger. Le thérapeute m’a expliqué que, quand on cache quelque chose à un enfant, il le sent. Julie avait donc dû sentir les zones d’ombre dans nos conversations. Et j’avais eu beau tenter de dissimuler la honte que j’éprouvais pour mon père, Julie l’avait perçue sans la comprendre. Au début, je n’ai pas voulu admettre que, pour trouver une logique à tout ça, elle avait dû à son tour se livrer à des actes que je réprouvais. Le thérapeute parlait d’une logique de répétition. Ce que j’avais refusé de mettre en mots, ma fille était, elle, condamnée à le reproduire en actes. Une fois délivrée du secret, Julie a pu reprendre normalement le fil de ses études. " “Impossible de faire l’amour sans penser à l’inceste entre mon père et ma sœur”Nadia, 27 ans "La télé diffusait un téléfilm sur l’inceste, confie Nadia. Soudain ma grande sœur lance : “Papa m’a fait pareil !”… Cinq secondes pour dire l’indicible. De ses émotions, de son ressenti, ma sœur ne me dit rien : ce domaine-là reste secret. J’ai 9 ans, elle 16. Sur le coup, cette révélation brutale ne change rien à mon existence. Mais un clivage s’opère en moi : d’un côté, il y a mon père, dont je suis la préférée, qui ne m’a jamais caressé de manière équivoque (il n’a d’ailleurs jamais essayé de s’en prendre à moi ou à ma petite sœur) ; de l’autre, un monstre que je n’arrive pas à intégrer réellement à mes pensées… Pour que le monde extérieur ne sache rien de sa conduite et de notre “anormalité” collective, mon père, jusqu’à sa mort il y a deux ans, a mis sa famille “au secret” : il nous a coupé des autres. Interdiction de fréquenter la famille de ma mère ou d’avoir des amis, personne ne devait venir à la maison. Et nous, ses enfants –mes deux sœurs et mon frère–, étions privés d’intimité : il lisait notre courrier, ne tolérait pas que nous ayons des conversations privées… A l’âge de 20 ans, j’ai rencontré un homme, mon compagnon actuel, et j’ai décidé de parler. Car, à cette occasion, j’ai découvert combien le secret empoisonnait ma vie affective et sexuelle : il m’était impossible de faire l’amour sans y penser. Mon père est mort sans s’être excusé. Pour moi, le deuil a été terriblement douloureux. Je perdais papa que j’aimais… et que je détestais à cause de ce qu’il avait fait. En plus, c’était la fin de mon espoir d’une réconciliation familiale. Ma sœur n’a jamais voulu lui demander de comptes. Aujourd’hui encore, elle préfère le silence… A l’opposé de moi. Moi, je parle, je parle. En espérant que ce secret finira par s’éroder, par s’user. Cela peut sembler paradoxal, mais, à mes yeux, le plus obscène n’est pas son contenu – l’inceste – mais les effets toxiques du non-dit, l’obligation de se taire. Ma grande sœur a clos le débat définitivement. Elle dit qu’il est temps de passer à autre chose. Comment peut-elle croire que le silence guérit ? Ses enfants s’amusent entre eux à des jeux sexuels incestueux, elle prétend que c’est normal. Son mari, qui admirait terriblement mon père malgré le mal qu’il avait fait, tient autant qu’elle à préserver le secret du monde extérieur. Ma famille est d’origine étrangère et je ne pourrais jamais épouser un homme natif du pays de mes ancêtres : de peur que cela recommence. Ni mes frères et sœurs ni moi n’avons évoqué ce sujet avec notre mère. Sait-elle ? Et, si oui, que sait-elle au juste ? Elle a une relation très tendue avec notre sœur aînée qui la juge coupable. A ses yeux, maman a forcément été complice. Comment ne remarquait-elle pas les absences nocturnes de son mari, quand il partait rejoindre leur fille dans sa chambre ? Je ne sais pas si je trouverais un jour le courage de la questionner." “Sans le savoir, je me vivais comme l’enfant de la faute”Marthe, 35 ans "Avec la curiosité innocente de la petite fille de 6 ans que j’étais, j’interroge ma mère : “Maman, c’est quoi être amoureux ?” “Oh, c’est quand on a un sentiment très fort pour quelqu’un. D’ailleurs, toi, tu es la fille de l’homme de ma vie : papa n’est pas ton père. Mais surtout, ne le lui dis pas…” Immédiatement, ça a été l’effondrement, une peur indicible. Cette révélation et l’obligation de partager ce secret avec ma mère installèrent une ombre au-dessus de ma tête. Avec, à la clef, cette menace inconsciente : “Un jour, je serai rejetée de cette maison car, en réalité, je n’y suis pas chez moi !” Dès lors, j’ai eu l’impression que je ne pourrai jamais être proche de papa. Il y avait “ça” qui me séparait de lui. En fait, les choses étaient encore plus compliquées : ma mère ne savait pas réellement qui était mon père, son amant de l’époque ou son mari. Et, comme je pouvais ressembler aux deux, elle n’a jamais pu trancher. Ce secret m’a longtemps enfermée dans la peau d’une personne qui fait tout pour être acceptée, reconnue parce qu’elle craint d’être rejetée. Jusqu’à mon mariage, il y a cinq ans, mes relations avec les hommes étaient contaminées par cette hantise. Je me disais que le couperet allait forcément tomber : l’autre allait se rendre compte que je n’étais pas celle qu’il croyait… Je me voyais comme une imposture vivante. L’enfant de la faute ! De plus, ce secret avait le pouvoir de me lier à ma mère –l’instigatrice du mystère– sur un mode fusionnel écrasant. A 20 ans, pour essayer de me créer un espace à moi, j’ai fait les quatre cents coups. En vain ! Je me détruisais sans parvenir à me libérer. Je n’ai jamais pu parler de tout cela avec papa : impossible de trahir le secret. Et je ne le peux plus. Il est mort. Adulte, je continuais d’être hantée par cette ombre, alors j’ai décidé d’entreprendre une psychanalyse. Je ne sais toujours pas qui est mon père. Mais j’essaie de considérer comme un “plus” le fait d’en avoir construit “deux” dans mon imaginaire : chaque humain étant particulier, c’est ce qui signe ma singularité à moi. J’ai pourtant un grand regret : d’une certaine façon, je suis passée à côté de mon père – celui qui m’a donné son nom. Récemment, mon petit garçon m’a demandé : “Il est où ton papa ?” Je ne sais pas si je dois lui parler un jour de cette histoire. Pour l’instant, il est trop petit, mais il en a sûrement capté des éléments. D’un côté, j’ai peur de l’envahir avec ce secret ; de l’autre, je ne veux pas qu’il en pâtisse en n’en sachant pas suffisamment pour comprendre… " L'avis du psy : "Le non-savoir condamne à la répétition"" Ne pas révéler un secret de famille à nos enfants, c’est les condamner à répéter les fautes de leurs ancêtres ", affirme Didier Dumas, psychanalyste d’obédience doltoïenne. Comment expliquer que nos descendants continuent d’être influencés par des faits dont ils n’ont pas connaissance ? " Il faut savoir que l’inconscient est transgénérationnel, explique le psychanalyste. L’enfant se construit par identification, c’est-à-dire en dupliquant littéralement l’inconscient de ses parents, avec son lot de représentations mais aussi de trous formés autour d’une absence de parole, de questions laissées sans réponse ou de secrets traumatiques. " Ce que Didier Dumas, à la suite de Nicolas Abraham, appelle " fantôme ", c’est ce non-savoir qui hante et agit les esprits qu’il habite. " Le non-savoir nous condamne à nous heurter aux mêmes difficultés que nos parents ou grands-parents, et à ne pas pouvoir les dépasser. Seule la parole peut nous délivrer d’un fantôme. Ce que j’appelle un “ange”, c’est le savoir que nous transmettons à nos enfants, et qui, seul, peut leur permettre de continuer leur route là où nous nous sommes arrêtés. " Un projet que je trouve essentiel ...
Quand les enfants perdent un proche...Un livre-cahier pour que les 5/11 ans puissent en parler en toute liberté À propos du projet“Mon cahier pour en parler” est un ouvrage à destination des enfants âgés de 5 à 11 ans ayant perdu un proche : parent, grand-parent, frère ou soeur. Il permet d'une part à l'enfant de raconter ce qui s’est passé, d'exprimer ses émotions par le dessin et l'écriture ; d'autre part de comprendre ce qui lui arrive, grâce à des explications simples et accessibles sur le processus de deuil. Au terme d’un parcours d’activités, l’enfant se réapproprie le lien à celui qui est mort. Cet outil que chaque enfant va pouvoir s'approprier, a été conçu et réalisé par l’association Empreintes-accompagner le deuil et l’équipe Enfant-do du pôle de pédiatrie du CHU de Toulouse, spécialistes de l'accompagnement des familles en deuil. Il est soutenu par le Secrétaire d'Etat en charge et de l'Enfance et des Familles Adrien Taquet et par la Fondation OCIRP. Bien souvent l'entourage est démuni : que dire aux enfants ? Comment parler de la mort avec eux et les accompagner au mieux ? Dans le contexte actuel qui nous confronte sans cesse à la mort, ce cahier proposé gratuitement est d'autant plus utile et nécessaire. Ce livre-cahier propose des activités d’arts plastiques et une histoire pour réfléchir et permettre à l’enfant de mieux connaître ses propres ressources et d’expérimenter les soutiens auxquels il peut avoir recours. L’accent est mis sur des activités de création : découpage, collage, coloriage, recherche de photos, ainsi que des productions d'écrits. Cet ouvrage met en scène le personnage de Tom, touché par la mort de son père. Ce petit bonhomme est le fil rouge de l'histoire, l'enfant chemine avec lui. Les auteures décryptent les moments importants du deuil, donnent des repères et expliquent les mots-clés. Chaque double page aborde un sujet différent, autour duquel l’enfant peut s'exprimer. Ces moments d'expression aident l’enfant à apprivoiser ses émotions parfois si fortes qu’elles le dépassent. Un encart central détachable de quatre pages s’adresse spécifiquement aux parents et aux adultes accompagnants. Ce livret donne des clés très concrètes pour aider le mieux possible l'enfant à s'emparer de son cahier quand parfois l'adulte lui-même est désemparé.
À quoi va servir le financement :Venir en aide aux enfants en deuil est aujourd'hui une urgence. Ce livre cahier intime doit arriver à chaque enfant concerné. L’objectif est de le proposer gratuitement. Votre don va nous aider à imprimer, affranchir et expédier le plus grand nombre possible d'exemplaires, afin que toutes les personnes qui en ont besoin puissent le recevoir. Il sera disponible sur simple demande sur le site internet d'Empreintes (www.empreintes-asso.com) et expédié sans frais. Tous les contributeurs seront avertis de la date de disponibilité. Le projet est d'ores et déjà soutenu par le Ministère des Solidarités et de la Santé, la CNAF et la Fondation OCIRP. Qui porte le projet Empreintes-accompagner le deuilParis 2 projets lancés sur Ulule - 1 projet soutenu C’est l’expérience de l’animation des groupes d’enfants endeuillés et de la formation auprès des professionnels qui permet aux auteures et au comité éditorial de proposer aujourd’hui ce livre-cahier de soutien (28 pages) pour les enfants scolarisés de la dernière année de maternelle à la dernière année de l'école primaire. Les auteures Marie Tournigand est déléguée générale d’Empreintes. Elle a travaillé en tant qu’assistante sociale à la Mairie de Paris et en service de réanimation neurochirurgicale à l’Hôpital de la Pitié Salpêtrière. Elle pilote depuis 5 ans l’association Empreintes. Isabelle de Marcellus est psychologue responsable de l’accompagnement à Empreintes, spécialisée dans le soutien aux familles. Elle exerce également en établissement scolaire. Elles ont écrit ce texte, nourries par leur pratique de l’accompagnement des enfants en deuil. Le comité éditorial Agnès Suc est pédiatre, elle a créé en 2000, l'Équipe Ressource Douleur Soins Palliatifs du Pôle de Pédiatrie du CHU de Toulouse. Elle coordonne le dispositif Histoire d’en Parler depuis sa création en 2005. Delphine Cayzac est psychologue clinicienne dans l'Équipe Ressource Douleur Soins Palliatifs Enfant-Do. Par son activité clinique, elle accompagne de nombreuses familles endeuillées et anime également les ateliers Histoire d’en Parler. Patricia Timsit est pédopsychiatre dans l'Équipe Ressource Douleur Soins Palliatifs Enfant-Do du CHU de Toulouse. A ce titre, elle accompagne beaucoup de familles endeuillées en individuel et anime également des ateliers Histoire d’en Parler. La coordination éditoriale Laure Flavigny-Choquet est éditrice, coordinatrice et auteure de nombreux ouvrages dont “Faut-il faire son deuil ?” aux éditions Autrement 2008 et deux Atlas pour les enfants publiés aux éditions Actes Sud Junior (le dernier “Atlas d’histoire- D’où vient la France ?” est paru le 30.10.2020). Marie et Laure ont notamment écrit et coordonné la brochure gratuite inter associative “Le deuil, une histoire de vie” diffusée à 130 000 exemplaires. Empreintes est une association nationale créée sous le nom de Vivre son deuil, il y a 25 ans, par le Dr Michel Hanus, psychiatre. Empreintes développe un accompagnement de deuil éthique et expert, pour tous et partout. L’association propose notamment une ligne d’écoute téléphonique référencée par Santé Publique France (3 000 appels par an), des entretiens individuels et familiaux, des groupes d’entraide, des formations certifiées Datadock notamment pour le Rectorat de l’académie de Paris. Empreintes propose aussi aux enfants - après un premier entretien familial - des cycles de 5 ateliers “Empreintes bleues”, qui leur permettent de cheminer dans leur vécu à travers des activités et supports d’expression. Ces ateliers sont co-animés par des accompagnants rémunérés (psychologues) et des accompagnants bénévoles sélectionnés, formés et supervisés. Le dispositif Histoire d’en Parler est un dispositif mis en place conjointement depuis 2005 par l’équipe Enfant-Do, équipe Ressource Douleur Soins Palliatifs Pédiatriques du CHU de Toulouse, le service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (SUPEA) ainsi que les bénévoles de l’association ASP Toulouse. Coordonné par le Dr Agnès Suc, il propose des ateliers médiatisés pour les enfants endeuillés, de père ou de mère ou d’un des membres de leur fratrie. Après un premier entretien médical, des ateliers médiatisés peuvent être proposés aux enfants dans le but de favoriser l’expression des sentiments et des émotions liés à la perte d’un être proche. Ces ateliers sont animés par des thérapeutes formés à la clinique du deuil (psychologues et pédopsychiatres). Voici un article publié par Flavia Mazein Salvi dans le magasine Psychologie le 6 mai 2021.
Les différentes affaires d’inceste qui ont récemment marqué l’actualité ont montré le pouvoir hautement toxique du secret. Pour ne pas le subir ni le transmettre, il est nécessaire de comprendre ses rouages et son impact sur le psychisme comme sur nos relations. Toutes les familles ont-elles un secret ? Petit ou grand, chaque famille dissimule certainement au moins un secret, en tout cas chacune abrite forcément un manque de parole, plus ou moins important, y compris dans les familles où la parole circule bien. Mais il y a différents types de secrets, et toutes les familles ne sont heureusement pas impactées par des secrets lourds et dangereux. Il est vrai que certaines, plus que d’autres, offrent un terreau favorable au développement de secrets très toxiques, c’est notamment le cas de celles qui tiennent à tout prix à maintenir et à transmettre une image valorisante et gratifiante de leur clan. La nécessité de préserver les apparences crée alors une pression énorme et constante sur les membres du groupe familial. Chaque famille possède un code de conduite, officiel ou tacite, qui est fondé sur un certain nombre de valeurs à respecter. Ces valeurs se transmettent à l’enfant dès sa naissance, lui indiquant ainsi ce qui est autorisé ou interdit. Transgresser ces valeurs, par exemple, pourrait obliger l’enfant devenu adulte à utiliser le secret pour se protéger de l’exclusion, et également pour éviter de ternir la réputation de la famille. Quels sont les secrets les plus courants ? Tout ce qui a trait au sexe et à la mort génère souvent du secret. Les mentalités et les mœurs ayant changé, ce qui faisait secret hier ne le fait plus systématiquement de nos jours, c’est notamment le cas pour l’adoption, une naissance hors mariage, une faillite, une maladie psychique, l’homosexualité ou encore des secrets liés à l’histoire, à la collaboration notamment. Ce qui ne veut pas dire que ces secrets n’existent plus du tout dans les familles. Aujourd’hui, ce qui fait secret, l’actualité en est l’illustration, ce sont les violences sexuelles, l’inceste, la pédophilie et aussi les fausses paternités (d’où la recrudescence des tests ADN), et encore, dans certains milieux, l’homosexualité. Le plus répandu des secrets restant certainement l’adultère. Tous les secrets sont-ils toxiques ? Le degré de toxicité dépend bien sûr de la nature du secret, tous n’ont pas la même charge nocive. Cacher un inceste, un meurtre ou mentir sur l’origine d’un enfant est évidemment bien plus grave que dissimuler une relation extraconjugale ou encore une faillite. Tout dépend également de l’importance que le porteur accorde à son secret, de la manière dont il le vit. Il y a des situations extraconjugales bien vécues qui ont un impact moindre sur la famille, et d’autres qui, au contraire, la détruisent. Tout dépend de l’histoire des conjoints, de la nature de leur relation et de leur manière de vivre ensemble leur parentalité. Chaque cas est unique. Comment se rend-on compte qu’il y a du secret dans l’air familial ? Le secret alourdit l’ambiance familiale, obstrue la circulation de la parole entre les protagonistes. Il crée du malaise, des tensions, des sujets « tabous », mais aussi de la violence, verbale ou physique. Souvent, l’arbre généalogique contient des blancs, des répétitions d’événements à certaines dates, que l’on appelle le syndrome de la date anniversaire (des naissances, des mariages, des accidents se répètent à une date précise), de la confusion (des récits familiaux embrouillés ou incohérents). Un secret peut aussi générer un phénomène de résonance : on est inexplicablement frappé ou touché par une image, un mot, un lieu, un objet ou autre, et cela peut être un indice de l’existence d’un secret, ou parfois même déclencher la révélation de celui-ci. Parfois, c’est le prénom qui, renvoyant à la dynamique transgénérationnelle, est la porte d’entrée qui éclaire une partie occultée de l’histoire familiale. Qu’est-ce qui pousse à faire secret ? Les mobiles peuvent être aussi complexes que variés. On peut faire secret pour couvrir des actes personnels transgressifs, mais aussi pour asseoir son pouvoir, manipuler, obtenir des gratifications, se venger, créer des alliances ou des liens, diviser, mais aussi prendre soin de l’autre ou de la famille parce que l’on est convaincu que se taire permet de les protéger. Un secret peut aussi naître de l’incapacité ou l’impossibilité de parler, soit parce que l’on se sent écrasé par la honte et/ou la culpabilité et/ou la douleur, soit parce que la ligne de conduite familiale impose le silence comme loi. De manière générale, dans tout secret gardé, il y a la peur du regard, du jugement et de la condamnation de l’autre et de la société. Qu’est-ce qui pousse à dévoiler un secret ? Celui qui révèle un secret peut avoir plusieurs motivations, parmi lesquelles : le désir de dénoncer pour protéger ou faire respecter la loi ou la justice, régler des comptes et se venger, attirer l’attention sur lui, remettre de l’ordre dans la famille, agir en sauveur (héros), se débarrasser d’un poids, ou encore éviter la reproduction quand des circonstances se répètent. Tous les secrets doivent-ils être révélés ? Même s’il faut se garder de généraliser, on peut néanmoins affirmer que la révélation d’un secret est toujours libératrice. Il ne faut pas oublier que le secret vient toujours d’une parole qui a fait défaut à un endroit important, c’est pourquoi le silence qui le recouvre est intrinsèquement toxique. Il génère de la confusion, de la violence et de la répétition. In fine, et malgré les bouleversements et les brouilles que peut engendrer une révélation, la famille gagne toujours à ce que le secret soit mis au jour. Il arrive souvent qu’on se taise pour « protéger » un enfant, par exemple lui faire croire que tout va bien. Or, c’est le résultat inverse que l’on obtient, car l’enfant, très sensible au mensonge, perçoit qu’on lui cache des choses, et sa confiance en lui et dans les autres, et donc son sentiment de sécurité, vont être profondément fragilisés. Quel est l’impact d’un secret non révélé ? Tout dépend de la gravité du secret et du contexte. Mais dans tous les cas, le secret encombre la vie de celui qui le porte, il l’oblige à l’hyper vigilance pour ne pas se dévoiler et fausse ses relations avec les autres. La sincérité et la spontanéité sont difficiles ou impossibles, la vie familiale devient un parcours de faux-semblants et d’évitements, ou de répétitions plus ou moins dramatiques. Dans le cas d’un inceste, il y a deux ou trois porteurs : le coupable, la victime et, s’il s’agit d’un inceste d’un parent sur son enfant, il y a aussi un complice qui se tait, l’autre parent. C’est évidemment la victime qui vit dans la souffrance, la peur, la honte, la culpabilité, qui va développer divers symptômes et conduites d’autodestruction, même si, pour survivre, elle peut parfois se réfugier dans le déni. Si un secret lourd perdure dans une famille, la honte, la peur et la culpabilité impacteront la génération suivante. Sans savoir pourquoi, les descendants seront anxieux, en hyper vigilance, auront une difficulté à trouver leur place dans la vie, ils répéteront des comportements d’échec ou d’addiction, ou de maltraitance et d’auto sabotage. Comment peut-on devenir complice d’un secret qu’il faudrait révéler ?C’est malheureusement encore souvent le cas dans les affaires d’inceste. Ce peut être par peur des représailles ou de l’exclusion, la peur aussi de « faire exploser la famille », ou d’abîmer son image, mais aussi la peur de ne pas être cru ou d’être accusé. La pression peut être terrible dans une famille, sans compter que, par retournement pervers, les coupables peuvent se présenter comme des victimes, et les victimes être présentées comme des personnalités déséquilibrées ou perverses. Il se peut aussi que l’on se taise par intérêt personnel parce que le coupable est économiquement puissant, célèbre, comme on l’a vu dans différentes affaires. Il se peut aussi que quelqu’un soit complice en taisant des transgressions qui matérialisent ses propres fantasmes. Enfin, la peur de l’abandon, la relation d’emprise peuvent aussi expliquer le silence, c’est souvent le cas pour le parent complice d’inceste. Comment mener son enquête quand on a le sentiment qu’il y a un secret dans la famille ?Il faudrait commencer à tâter le terrain en parlant autour de soi. L’idéal est d’aborder le sujet sans agressivité, sans jugement, tout en insistant sur le fait qu’on a le droit de savoir, en gardant à l’esprit que cette démarche peut générer des résistances ou déclencher des comportements de défense agressifs (accusation, menaces, culpabilisation...). On peut aussi creuser la piste de l’état civil et celui de la généalogie. Il est également important de suivre son instinct, de lire entre les lignes du roman familial et de prêter attention au choix des mots employés, mais aussi des inflexions de voix de celui ou de celle qui raconte. À quoi sert une thérapie si l’on n’a pas découvert le secret de sa famille ?Si les faits manquent, le sujet va travailler dans la dimension symbolique sur sa place dans la famille et sur ce qu’il imagine de son roman familial. À travers ses rêves, l’écriture automatique, ses dessins, il va prendre contact avec son histoire, découvrir ce que son inconscient a enregistré, il pourra faire parler un ancêtre, faire des liens entre des lieux, des objets et ses émotions. Des souvenirs vont apparaître, des associations vont se faire, des blancs vont se remplir. C’est la compréhension nouvelle et l’intégration de son histoire qui lui permettront d’aller de l’avant, de vivre sa vie au lieu d’être empêché, bloqué ou condamné à l’insécurité, l’échec, l’angoisse ou la répétition. Libéré, il pourra s’incarner pleinement dans son présent et vivre enfin sa vie. Que provoque la révélation d’un secret ?Volontaire ou pas, la découverte d’un secret concernant des gens que l’on aime génère des sentiments intenses et ambivalents. D’abord, la surprise, la stupéfaction ou la sidération, puis le refus (non, ce n’est pas possible, il doit y avoir erreur ou malveillance). Enfin vient le temps du doute et la possibilité de mener son enquête ou de s’enfermer dans le déni. Dans tous les cas, les conflits de loyauté peuvent être violents et les risques de brouille ou de rupture réels, mais ces conséquences sont toujours moins toxiques qu’un lourd secret bien gardé. Comment et à qui parler du secret découvert ?Le secret n’est pas une fatalité, chacun peut y mettre fin. Pour le sortir du silence, il est important de ne pas agir sous le coup de l’émotion, de réfléchir sur ses motivations, quitte à se faire aider par un psy si l’on se sent dépassé par les événements. Une fois que l’on y voit plus clair, que l’information et les émotions ont été digérées, on peut prévenir le ou les porteurs du secret ainsi que les autres personnes concernées que l’on a quelque chose de « bousculant » à leur dire, mais que l’on se sent dans l’obligation de partager cette information avec elles. On peut se heurter à de fortes résistances, à des refus d’entendre, si c’est le cas, il est inutile d’insister. L’important est d’avoir brisé la loi du silence et la chaîne de la transmission toxique. Pour tout ce qui relève des violences, sexuelles ou autres, la parole doit évidemment sortir de la famille et être portée devant la police et la justice. |
AuteurElisabeth BAZIN, Archives
February 2025
Categories |
Lavernerie - 350 Route de Peyrole
81310 Parisot Tarn, France |
Mobile: 06 11 98 06 16 |
elisabeth-bazin.fr , Copyright © 2019, Tout droits réservés
|