Se construire par le lien ...Un article m'a beaucoup parlé, celui de Lucile Bellan le 28 août 2020 dans Slate. Alors pour le garder et le partager avec vous et les professionnels de la petite enfance, je le place ici ... Votre relation avec vos parents pendant l'enfance peut expliquer pourquoi vous avez du mal à vous aimer ou à accepter que l'on vous aime. Commençons par un cas pratique. Vous avez 34 ans, une personne dans votre vie dont vous partagez les sentiments, sauf que vous avez la sensation que quelque chose cloche dans votre relation. Comme vous n'arrivez pas à croire que l'on puisse vous aimer, les déclarations d'amour de votre conjoint·e entraînent des réactions négatives de votre part, et vous semblez repousser la personne aimée quand le temps de l'engagement est venu. Bref, vous avez tout pour nager dans le bonheur mais la machine est grippée, comme si vous ne saviez pas aimer ou être aimé·e. Dans ces moments-là, les spécialistes ont coutume de dégainer la carte de la théorie de l'attachement. Capital d'amour Il n'y a pas de formule scientifique ou de concepts compliqués pour expliquer la théorie de l'attachement. Formalisée par le psychiatre et psychanalyste John Bowlby dans des publications datant de 1958 puis dans des livres publiés entre 1969 et 1982, basée sur les travaux de Winnicott, Lorenz et Harlow, elle énonce que devenir un·e adulte avec des capacités sociales et émotionnelles normales nécessite d'avoir été un enfant ayant développé une relation d'attachement avec au moins une personne qui prenait soin de lui de façon cohérente et continue. L'enfant se lie à une «figure d'attachement», souvent parentale. Il cherche la sécurité et le contact, et la personne en face répond à ses besoins avec bienveillance. Au début de la vie, on parle seulement de soins basiques comme être lavé, nourri, câliné ou voir ses douleurs (dentaires ou digestives) prises en charge et soulagées. Pendant l'enfance, il est question de valorisation, de relation de confiance et de respect, de considération pour la place de l'enfant et de l'adulte. La théorie de l'attachement, en fait, revient à affirmer que nous ne naissons pas tous et toutes avec le même capital d'amour, cette faculté à aimer et être aimé·e qui peut être appauvrie et entachée par des soins de piètre qualité ou un mauvais traitement des adultes en charge. Forward, la référence La psychothérapeute américaine Susan Forward a basé une grande partie de son travail sur les conséquences des déficiences parentales. Dans son livre Parents toxiques, elle écrit: «Que des adultes élevés par des parents toxiques aient été battus quand ils étaient petits, ou laissés trop souvent seuls, ou abusés sexuellement, ou considérés comme idiots, surprotégés ou accablés de culpabilité, ils manifestent presque tous des symptômes similaires: amour propre blessé, tendance à un comportement auto-destructeur. D'une façon ou d'une autre, ils ont presque tous l'impression de n'avoir aucune valeur, aucune capacité et ils se sentent indignes d'être aimés.» Là où la théorie de l'attachement est capitale, c'est qu'elle s'appuie sur des éléments de l'enfance pour expliquer des comportements et des sentiments d'adultes. Un enfant qui aura reçu des soins, de la tendresse, de l'amour ainsi que le soutien nécessaire pour devenir autonome de la part d'au moins l'un de ses parents aura plus de facilité par la suite à développer un sentiment de confiance envers les autres et son univers. Il aura également une aptitude plus importante à développer des relations durables, ce dont il pourra se servir pour son éventuelle parentalité à venir. De l'autre côté du spectre, on peut désormais analyser pourquoi, parfois sans avoir vécu d'événement traumatique, certaines personnes souffrent de problèmes paralysants de confiance en soi ou de ce qui ressemble à des difficultés à aimer. Dans Ces mères qui ne savent pas aimer, Susan Forward évoque spécifiquement le cas de la relation entre les mères et leurs filles: «C'est en s'identifiant à leur mère et en tissant leurs liens avec elle que les jeunes filles définissent leur féminité naissante. Mais quand ce processus vital est distordu, parce qu'une mère est maltraitante, critique, étouffante, déprimée, négligente ou distante, ces jeunes filles se retrouvent à lutter seules pour essayer de construire une image solide d'elles-mêmes et de faire leur place dans le monde. Il leur vient rarement à l'esprit que leur mère n'était pas aimante ou, dans les cas extrêmes, qu'elle était malveillante. C'est trop dur à admettre, et concevoir cette éventualité entraîne une vive anxiété chez les enfants, dont la survie est si étroitement liée à leur gardienne vitale. Il est beaucoup plus sûr, pour une petite fille, de croire que “s'il y a quelque chose qui cloche entre nous, c'est parce qu'il y a quelque chose qui cloche chez moi”.» La psychothérapeute développe ce point un peu plus loin: «Une petite fille qui a été critiquée, ignorée, maltraitée ou étouffée par une mère mal-aimante devient une adulte qui se dit qu'elle ne sera jamais à la hauteur ni digne d'être aimée, qu'elle ne sera jamais assez intelligente, assez jolie ou assez acceptable pour mériter la réussite et le bonheur. Parce que si tu étais vraiment digne de respect et d'affection, murmure une voix en elle, ta mère en aurait eu pour toi.» Plutôt que de se contenter d'un simple constat, qui serait terriblement injuste pour les enfants issus de parents mal-aimants, Susan Forward propose un travail visant à reconstruire cette confiance en soi, d'abord par la prise de conscience, ensuite par la mise en place d'outils, principalement de dialogue. Objectif : Permettre aux personnes souffrant de relations abusives avec leurs parents de retrouver leur place, de regagner leur pouvoir et de rebâtir peu à peu leur confiance en elles. La spécialiste est claire sur un point : on ne change pas un parent mal-aimant. Mais l'enfant devenu adulte, lui, peut toujours s'en sortir avec le bon accompagnement et devenir un parent équilibré. La théorie de l'attachement ne se résume donc pas à des observations fatalistes, elle est un moyen de comprendre et d'orienter des adultes en souffrance. Car le capital d'amour et de confiance entaché pendant l'enfance peut toujours se reconstruire. Tsunamis de sentiments : deux exemples de films Héros du film Himizu de Sono Sion, le jeune Yuichi Sumida a été contraint de grandir plus vite qu'il n'aurait dû. Adolescent, il gère l'entreprise familiale de location de bateaux et tente de faire son trou entre une mère alcoolique qui ramène ses amants à la maison et un père accro au jeu qui lui répète sans arrêt qu'il n'aurait pas dû naître. Alors quand le jeune homme est aimé par Keiko Shazama, une camarade de classe, il ne peut réagir que par la violence. La jeune fille se sent néanmoins investie d'une mission et pense qu'aimer Yuichi, c'est aussi lui apprendre à s'aimer et à vivre. Si ce drame japonais s'inscrivant dans l'après-tsunami de mars 2011 résout ses conflits par les cris, les larmes et le sang, le comportement du jeune homme est bien symptomatique de dysfonctionnements parentaux dès la petite enfance. Ce raz de marée de sentiments est comme une plongée dans l'affect abîmé de Yuichi Sumida, qui ne rêve rien tant que de se faire tout petit, de cesser presque de vivre, pour ne plus souffrir. Si aimer lui fait si mal, c'est parce qu'il s'agit d'un sentiment qu'il n'a jamais connu. Mais sa reconstruction ne peut venir que de la confrontation et de l'acceptation de sa souffrance, comme le décrypte Susan Forward dans ses livres. Le réalisateur belge Felix van Groeningen a abordé des thématiques semblables dans La Merditude des choses, adaptation d'un roman de Dimitri Verhulst. Son personnage principal est un homme adulte qui semble rejeter à la fois sa place d'homme aimé et aimant et sa future place de père, le tout à cause d'une enfance passée dans un monde où l'alcoolisme faisait loi. Ces films et les analyses des thérapeutes convergent vers les mêmes conclusions: pour faire table rase de son enfance où l'on a été mal-aimé·e, il faut d'abord faire un travail sur soi, apprendre à se détacher de sa culpabilité d'enfant, voire couper les ponts avec ses parents mal-aimants. Il s'agit ensuite d'accepter d'apprendre, comme si l'on était un enfant qui commence à marcher ou à parler, à aimer petit à petit – en commençant par apprendre à s'aimer soi.
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Et oui, vous connaissez cette pièce,
c'est ici que nous prenons les repas (auberges espagnoles) lors des ateliers de constellations ou pendant les stages !!! A ce propos, je vous invite à aller voir sur la page constellations 3 stages sont programmés... La psychogénéalogie est à la mode.
Les rayons des librairies croulent sous le poids des manuels, les conférences se multiplient, et même les médecins généralistes, perplexes devant des bronchites chroniques, s’interrogent : « Vous n’auriez pas eu un grand-père gazé à Verdun ? » Anecdote authentique… Après le « c’est la faute des parents », nous sommes entrés dans l’ère du « c’est la faute des ancêtres". La première à le regretter était la fondatrice de la méthode, Anne Ancelin Schützenberger. Transmission héréditaire Anne Ancelin Schützenberger est la référence inévitable des curieux de leurs ancêtres, des dénicheurs de secrets de famille, des victimes de silences. Dans Aïe, mes aïeux ! (Desclée de Brouwer, 2007), son best-seller qui ne cesse d’être réédité, cette psychanalyste, professeure de psychologie clinique à l’université de Nice qui a travaillé avec les plus grands ( Françoise Dolto , Carl Rogers , Gregory Bateson, Paul Watzlavick…), inventait un nouveau mot : psychogénéalogie. L’idée flottait depuis 1913 déjà, quand, dans Totem et Tabou (Payot, “Petite bibliothèque”, 2001), Freud écrivait : « Nous postulons l’existence d’une âme collective et la possibilité qu’un sentiment se transmettrait de génération en génération se rattachant à une faute dont les hommes n’ont plus conscience ni le moindre souvenir. » La même année, Jung développait l’idée d’une « transmission héréditaire de la capacité d’évoquer tel ou tel élément du patrimoine représentatif ». Restait à y poser un mot, et à construire une théorie. Partant du principe que nos ascendants nous ont légué plus que nos gènes ou nos traits, Anne Ancelin Schützenberger établit le principe de l’existence, dans chacune de nos familles, de règles de loyauté et d’un système de « comptabilité » non dits, qui fixent le rôle de chacun d’entre nous et nos obligations familiales. Comme un immense inconscient familial qui nous cloue à notre place et semble nous interdire d’en bouger. Souffrances à répétition Sur la trace de ces blocages, la psychogénéalogie traque les répétitions de dates anniversaires, de traumatismes, d’événements douloureux, de maladies, et les met à jour grâce au « génosociogramme », cet arbre généalogique de la psyché. Comme le dit la psychogénéalogiste Maureen Boigen, « partir sur les traces de ceux qui nous ont précédés nous emmène dans des lieux où nous n’aimons pas nécessairement aller. L’inconscient familial, lui, ne nous rate pas ! Beaucoup de nos choix sont influencés par ce que nos ancêtres ont vécu ». Anne Ancelin Schützenberger disait « Je suis fière d’avoir inventé un outil qui permette de se raconter – et de transmettre à ses enfants – sa propre histoire en la comprenant. Ainsi faisant, nous pouvons nous libérer des emprises familiales qui nous empêchent de vivre selon notre désir. Et si nous avons des enfants, leur donner le meilleur de notre histoire familiale et de nous-mêmes. » Qu’est-ce que le transgénérationnel ?Il est important de différencier deux formes de transmission familiale : la transmission intergénérationnelle (entre générations se connaissant) et la transmission transgénérationnelle (sur plusieurs générations parfois lointaines) d’une « tâche inachevée ». La première est claire et contient ce qui est connu, consciemment transmis. La seconde contient ce qui est tenu secret, caché, non dit, non su, souvent un traumatisme ou un deuil non résolu, mais encore actif. Extrait d'un article de Violaine Gelly publié en aout 2020 dans Psychologie Il me semble essentiel que nous puissions avoir des informations sur un phénomène que j'ai pu observer auprès de plusieurs patientes. "Confident, messager, surveillant, soignant… Un enfant peut-être chargé par ses parents de différents rôles qui lui font endosser un costume trop grand pour lui et viennent troubler son équilibre. Ce phénomène de parentification de l’enfant, identifié de longue date par les thérapeutes, reste encore méconnu car ses formes sont nombreuses et différentes. La « parentification ». Encore un terme moderne et compliqué au sens un peu confus ? Il n’en est rien puisqu’une première définition de ce concept apparaît en 1973 sous la plume des psychiatres Iván Boszormenyi-Nagy et Geraldine M. Sparks, dans leur ouvrage Invisible loyalties (Routledge) : « La parentification est une distorsion subjective des relations quand l’un des deux partenaires, souvent un enfant, devient un parent pour l’autre. » Ce concept va prendre de l’importance, notamment aux Etats-Unis, et sera défini plus précisément en France en 1999 par le psychiatre Jean-François le Goff dans son ouvrage L’Enfant, parent de ses parents (L’Harmattan) comme « un processus relationnel interne à la vie familiale qui amène un enfant ou un adolescent à prendre des responsabilités plus importantes que ne le voudraient son âge […] » Les différents travaux menés sur ce sujet depuis les années 2000 invitent à considérer le phénomène de parentification comme quelque chose de complexe, souvent involontaire de la part des parents mais rarement inconscient. Il y a toujours quelque chose qui se joue à travers cette dissension des rapports parents-enfants. Yves Ulmann, psychothérapeute, le confirme : « Le parent a souvent conscience de donner à son enfant un rôle d’adulte, mais il ne mesure pas vraiment ce qu’il fait, il n’a pas vraiment conscience de ce qu’il produit. » L'enfant confident, l'enfant bon copain Pour mieux comprendre comment se déploie le phénomène de parentification, le psychothérapeute relate trois cas cliniques rencontrés dans son cabinet « Bien sûr, personne ne vient me voir en disant : « J’attribue à mon enfant un rôle qui n’est pas le sien ». Généralement, les parents viennent me voir car ils trouvent que leur enfant ne va pas bien ou que son comportement a changé. » Yves Ulmann indique que, le plus fréquemment, c’est lors d’une séparation ou d’un épisode de conflits parentaux que le rôle de l’enfant peut changer et que celui-ci peut faire office d’intercesseur ou de confident. « Ces deux rôles existent aussi en dehors des conflits parentaux, mais lors de disputes récurrentes ou d’une séparation, l’enfant peut servir de relais de transmission entre les deux partenaires : « Tu diras ça à ta mère … Tu diras à ton père que… » Cela peut même aller jusqu’à un rôle de surveillance : « Est-ce que ta mère voit quelqu’un ? … Qu’est-ce que ton père a fait ? » « L’enfant peut aussi devenir le bon copain ou la bonne copine, comme cet homme séparé qui demandait à ses enfants de 9 et 12 ans de valider ses choix sentimentaux. Il ramenait régulièrement des femmes rencontrées sur des applications de rencontre à son domicile pour avoir l’avis de ses enfants à leur propos. Un peu comme s’il leur demandait de ratifier ses choix sentimentaux ou sexuels », détaille le psychothérapeute pour indiquer jusqu’où la parentification peut se jouer. Dans une même veine, « cet autre homme qui, après s’être séparé de sa femme, avait refait sa vie avec un homme et demandait à ses enfants d’applaudir des deux mains, sans même leur laisser le temps d’encaisser d’un côté la séparation, et de l’autre, l’annonce de son homosexualité. Il souhaitait sincèrement que ses enfants soient heureux pour lui et que tout soit clair pour eux, mais à aucun moment il ne s’était demandé comment eux, en tant qu’enfants, pouvaient vivre tout cela. » L'enfant thérapeute, l'enfant soignant Intercesseur, confident, ami… La parentification de l’enfant peut aussi se jouer sur le mode soignant « J’ai eu le cas de cette mère qui supposément atteinte de problèmes fonctionnels, alors que son tableau clinique laissait penser à une dépression nerveuse, ne pouvait pas se lever de son lit. Elle hurlait depuis sa chambre ses besoins à ses enfants âgés de 12 et 14 ans. Et lorsque ces derniers ne répondaient pas assez vite, elle les faisait culpabiliser en leur disant qu’elle souffrait, qu’elle avait besoin de leur aide, qu’elle ne pouvait vivre sans leur soutien… Le fardeau qui pesait sur leurs épaules est simple à imaginer… » Autant d’exemples troublants de ce phénomène de parentification qui peut se jouer sur de nombreux modes très différents, comme l’indiquait Jean-François le Goff dans Thérapeutique de la parentification : « Pour reconnaître la parentification d’un membre d’une famille, il faut tenir compte de la variété de ses aspects cliniques. En effet, la parentification ne se réduit jamais à la question de l’hypermaturité de l’enfant comme résultante de l’immaturité de ses parents; elle prend des formes variées en fonction de la configuration spécifique du contexte familial et des relations intergénérationnelles. » Article de Lucien Fauvernier dans Psychologie sorti le 06 août 2020 à 17:29 |
AuteurElisabeth BAZIN, Archives
January 2025
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