Alice Miller à écrit dans " l'enfant sous terreur" :
On pourrait déduire de ce que j’ai dit jusqu’ici que Flaubert et Beckett n’auraient pas écrit les deux récits que j’ai cités, s’ils avaient été pleinement conscients de retracer leur propre destin. C’est ce qui fait dire à certains, non sans cruauté : « Heureusement, tous les grands auteurs ont eu une enfance difficile, sinon nous n’aurions pas aujourd’hui ces oeuvres admirables. » Pour ma part, je pense simplement que ces auteurs auraient écrit autre chose, qui aurait pu être tout aussi fort, pourvu que ce soit issu de l’inconscient. L’inconscient est infini, il est pareil à un océan, et dans l’analyse nous en prélevons tout au plus un verre d’eau, juste la partie qui a rendu la personne malade. Un grand artiste puisera d’autant plus librement dans cette mer qu’il n’a pas besoin d’avoir peur de s’empoisonner avec ce verre. Il sera libre d’essayer différents itinéraires, de se redécouvrir toujours, comme on peut le voir par exemple avec la vie et l’oeuvre de Pablo Picasso. On pourrait en trouver l’illustration contraire chez Salvador Dali, qui est incontestablement un grand peintre mais qui, un peu comme Samuel Beckett, a dû s’occuper toute sa vie de la menace du verre empoisonné. Ce que je dis là n’a rien à voir avec un jugement de valeur ; je parle simplement du drame personnel de l’artiste. Le verre est tout petit par rapport à l’océan. Mais si nous nous représentons l’homme de la taille d’une fourmi dans ce contexte, le verre peut aussi apparaître comme un océan.
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