Les croyances liées au Soi et les sentiments liés au Soi jouent un rôle-clé dans le développement. Dès les premiers mois, l’enfant utilise ce qu’il connaît déjà et ce qu’il ressent, même de manière rudimentaire, pour construire sa propre réalité et contribuer à sa propre expérience (Rochat, 2006). Les croyances et les sentiments à propos de son Soi font partie de ces éléments de construction. Tout au long de la vie, l’estime de Soi médiatise nos perceptions et nos réactions. On sait également, depuis les travaux de Seligman ou de Beck, combien une mauvaise estime de Soi joue un rôle de vulnérabilité sur le risque d’apparition de troubles dépressifs ultérieurs. L’estime de Soi occupe donc une place cruciale en psychologie car elle représente un des liens entre difficultés passées et difficultés actuelles dans les domaines psychosociaux. Pour Holmes (1993), psychanalyste et attachementiste, l’estime de Soi repose sur deux fondations principales : le sentiment d’efficacité personnelle et le sentiment d’avoir de bonnes relations. Nous verrons ici que la première. La première estime de Soi est liée au Soi émotionnel : il s’agit de décrire la valeur qu’une personne se donne, à quel degré elle se voit, elle-même, comme précieuse, ayant de la valeur, comme quelqu’un qui en vaut la peine et qui mérite des efforts, comme une personne significative. Pour se sentir une personne « significative », il faut d’abord s’être senti une personne importante aux yeux de ceux qui nous ont élevés. Tous les théoriciens de la petite enfance, après la Deuxième Guerre mondiale, comme Winnicott, Bion ou Anna Freud, ont senti intuitivement que cette capacité ne s’acquerrait que dans les interactions personnelles, dans le regard, dans la compréhension et la réaction de l’autre à ce qui vient du bébé. Rappelons la métaphore de Winnicott du regard de la mère : « avant de se voir l’enfant se voit dans les yeux de sa mère le regardant » (Winnicott, 1975). Le Soi de l’enfant se développe en relation avec les interactions sociales et, en particulier, dans les interactions précoces avec ceux qui l’élèvent. La formation précoce du Soi intègre donc ces interactions. L’idée-clé de John Bowlby (1969/1982), le fondateur de la théorie de l’attachement, est la suivante : si chaque fois que l’enfant a été dans la détresse, les personnes qui l’élèvent ont répondu de manière adéquate (c’est-à-dire rapidement et avec la volonté d’apporter de manière sensible, réconfort et consolation) à ses besoins d’attachement, l’enfant développe deux images mentales : d’une part une image de l’autre comme digne de confiance, disponible, sur qui l’on peut compter pour être aidé, trouver des solutions et, d’autre part, une image de Soi, complémentaire ; un Soi digne d’intérêt ayant de la valeur et digne d’amour puisque même en situation de détresse ou d’alarme, on a toujours répondu à l’enfant, et qu’il s’est senti reconnu en tant que tel. L’enfant développe également un sentiment d’efficacité personnelle puisque tous ses signaux ont reçu une réponse adaptée et rapide de l’environnement. Ceci nous amène à quelques rappels très brefs à propos de la sécurité de l’attachement (Bowlby, 1969/1982). Le système d’attachement du petit humain est activé par les stimuli d’alarme et/ou de détresse, qu’ils soient d’origine interne ou issus de l’environnement. L’activation du système d’attachement entraîne automatiquement la recherche de proximité auprès d’une ou des figures qui progressivement deviennent spécifiques : la ou les figures d’attachement. Cette accessibilité de la figure d’attachement peut, seule, éteindre l’activation du système de l’attachement. La Figure d’attachement répond aux besoins de réconfort du petit grâce à son système de caregiving, notion qui sera développée plus loin. L’enfant va alors utiliser sa figure d’attachement comme une base de sécurité. Lorsque son système d’attachement n’est pas activé, il s’élance vers l’exploration car il sait qu’en cas de besoin, il peut revenir vers sa figure d’attachement qui devient alors le havre de sécurité car elle apaise ses besoins d’attachement. Bowlby a appliqué la notion de modèle de travail aux concepts de Soi et de l’autre dans les situations qui activent le système d’attachement du sujet. Il a appelé ces modèles, les Modèles Internes Opérants (les MIOs). Il s’agit de représentations cognitivo-affectives, de schémas de Soi en relation avec chacune des figures importantes qui nous élèvent dans les contextes très précis qui activent notre système d’attachement. Ces MIOs sont l’organisation, sous forme de représentations, de l’histoire interactive des réponses des personnes significatives (celles qui élèvent l’enfant), aux besoins de protection et de réconfort. Ils intègrent également l’histoire du destin des actions de l’enfant pour obtenir ce réconfort (Main, et al., 1985). L’attitude du parent envers les émotions négatives exprimées par son enfant sera un point crucial pour le développement des modèles internes et en particulier de sentiment de valeur personnelle et d’impact lorsque l’on est en situation d’alarme ou de détresse. L’enfant construit un MIO par relation d’attachement. Ce n’est qu’au cours du développement que le sujet va construire des représentations générales de ce qu’il peut attendre des autres et de ce qu’il pense de lui – même en situations d’alarme et de détresse – et des représentations liées aux relations spécifiques. Les MIOs construits initialement peuvent être revisités sous forme de nouvelles constructions mais ils ne sont pas effacés. Ils peuvent être réactivés dès que le niveau de stress auquel est exposé le sujet devient trop intense (Mikulincer et Shaver, 2009) Lorsqu’il y a un lien d’attachement sécure, l’enfant construit un modèle de celui qui l’élève comme digne de confiance, accessible et disponible ; et parce qu’il a expérimenté ce modèle, il construit aussi progressivement un modèle complémentaire de Soi comme digne d’intérêt et ayant de la valeur même dans les situations de vulnérabilité, d’alarme, et d’émotions négatives au sens large La théorie de l’attachement apporte donc un éclairage développemental particulièrement novateur à la question de ce que le petit intègre ou non dans son Soi. Ce qui constitue notre Soi sera ce qui aura été accepté, validé et rendu intégrable par ceux qui nous élèvent. Aux stades très précoces du développement, ce qui est « rejeté » par un bébé n’est pas ce qui lui semble bien ou pas bien, « en valeur absolue » – ce qui sera effectivement le cas plus tardivement – mais ce qui correspond aux règles que le bébé a inférées des comportements de ses parents. Ce qui est rejeté, dans ces premières années, c’est ce qui a entraîné des réactions telles de ceux qui l’élèvent, que l’enfant n’a eu comme choix, du fait de sa dépendance absolue, que de renoncer à ou de désavouer ce qui a entraîné de telles réactions. C’est donc le recours libre au safe heaven (le havre de sécurité), le versant attachement du concept de base de sécurité au cœur de la théorie de l’attachement, qui participe à la construction de cette estime de soi relationnelle et émotionnelle. Extrait de l'article "Les racines de l'estime de soi : apports de la théorie de l'attachement" de Nicole Guédeney.
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