Voici un article publié par Flavia Mazein Salvi dans le magasine Psychologie le 6 mai 2021.
Les différentes affaires d’inceste qui ont récemment marqué l’actualité ont montré le pouvoir hautement toxique du secret. Pour ne pas le subir ni le transmettre, il est nécessaire de comprendre ses rouages et son impact sur le psychisme comme sur nos relations. Toutes les familles ont-elles un secret ? Petit ou grand, chaque famille dissimule certainement au moins un secret, en tout cas chacune abrite forcément un manque de parole, plus ou moins important, y compris dans les familles où la parole circule bien. Mais il y a différents types de secrets, et toutes les familles ne sont heureusement pas impactées par des secrets lourds et dangereux. Il est vrai que certaines, plus que d’autres, offrent un terreau favorable au développement de secrets très toxiques, c’est notamment le cas de celles qui tiennent à tout prix à maintenir et à transmettre une image valorisante et gratifiante de leur clan. La nécessité de préserver les apparences crée alors une pression énorme et constante sur les membres du groupe familial. Chaque famille possède un code de conduite, officiel ou tacite, qui est fondé sur un certain nombre de valeurs à respecter. Ces valeurs se transmettent à l’enfant dès sa naissance, lui indiquant ainsi ce qui est autorisé ou interdit. Transgresser ces valeurs, par exemple, pourrait obliger l’enfant devenu adulte à utiliser le secret pour se protéger de l’exclusion, et également pour éviter de ternir la réputation de la famille. Quels sont les secrets les plus courants ? Tout ce qui a trait au sexe et à la mort génère souvent du secret. Les mentalités et les mœurs ayant changé, ce qui faisait secret hier ne le fait plus systématiquement de nos jours, c’est notamment le cas pour l’adoption, une naissance hors mariage, une faillite, une maladie psychique, l’homosexualité ou encore des secrets liés à l’histoire, à la collaboration notamment. Ce qui ne veut pas dire que ces secrets n’existent plus du tout dans les familles. Aujourd’hui, ce qui fait secret, l’actualité en est l’illustration, ce sont les violences sexuelles, l’inceste, la pédophilie et aussi les fausses paternités (d’où la recrudescence des tests ADN), et encore, dans certains milieux, l’homosexualité. Le plus répandu des secrets restant certainement l’adultère. Tous les secrets sont-ils toxiques ? Le degré de toxicité dépend bien sûr de la nature du secret, tous n’ont pas la même charge nocive. Cacher un inceste, un meurtre ou mentir sur l’origine d’un enfant est évidemment bien plus grave que dissimuler une relation extraconjugale ou encore une faillite. Tout dépend également de l’importance que le porteur accorde à son secret, de la manière dont il le vit. Il y a des situations extraconjugales bien vécues qui ont un impact moindre sur la famille, et d’autres qui, au contraire, la détruisent. Tout dépend de l’histoire des conjoints, de la nature de leur relation et de leur manière de vivre ensemble leur parentalité. Chaque cas est unique. Comment se rend-on compte qu’il y a du secret dans l’air familial ? Le secret alourdit l’ambiance familiale, obstrue la circulation de la parole entre les protagonistes. Il crée du malaise, des tensions, des sujets « tabous », mais aussi de la violence, verbale ou physique. Souvent, l’arbre généalogique contient des blancs, des répétitions d’événements à certaines dates, que l’on appelle le syndrome de la date anniversaire (des naissances, des mariages, des accidents se répètent à une date précise), de la confusion (des récits familiaux embrouillés ou incohérents). Un secret peut aussi générer un phénomène de résonance : on est inexplicablement frappé ou touché par une image, un mot, un lieu, un objet ou autre, et cela peut être un indice de l’existence d’un secret, ou parfois même déclencher la révélation de celui-ci. Parfois, c’est le prénom qui, renvoyant à la dynamique transgénérationnelle, est la porte d’entrée qui éclaire une partie occultée de l’histoire familiale. Qu’est-ce qui pousse à faire secret ? Les mobiles peuvent être aussi complexes que variés. On peut faire secret pour couvrir des actes personnels transgressifs, mais aussi pour asseoir son pouvoir, manipuler, obtenir des gratifications, se venger, créer des alliances ou des liens, diviser, mais aussi prendre soin de l’autre ou de la famille parce que l’on est convaincu que se taire permet de les protéger. Un secret peut aussi naître de l’incapacité ou l’impossibilité de parler, soit parce que l’on se sent écrasé par la honte et/ou la culpabilité et/ou la douleur, soit parce que la ligne de conduite familiale impose le silence comme loi. De manière générale, dans tout secret gardé, il y a la peur du regard, du jugement et de la condamnation de l’autre et de la société. Qu’est-ce qui pousse à dévoiler un secret ? Celui qui révèle un secret peut avoir plusieurs motivations, parmi lesquelles : le désir de dénoncer pour protéger ou faire respecter la loi ou la justice, régler des comptes et se venger, attirer l’attention sur lui, remettre de l’ordre dans la famille, agir en sauveur (héros), se débarrasser d’un poids, ou encore éviter la reproduction quand des circonstances se répètent. Tous les secrets doivent-ils être révélés ? Même s’il faut se garder de généraliser, on peut néanmoins affirmer que la révélation d’un secret est toujours libératrice. Il ne faut pas oublier que le secret vient toujours d’une parole qui a fait défaut à un endroit important, c’est pourquoi le silence qui le recouvre est intrinsèquement toxique. Il génère de la confusion, de la violence et de la répétition. In fine, et malgré les bouleversements et les brouilles que peut engendrer une révélation, la famille gagne toujours à ce que le secret soit mis au jour. Il arrive souvent qu’on se taise pour « protéger » un enfant, par exemple lui faire croire que tout va bien. Or, c’est le résultat inverse que l’on obtient, car l’enfant, très sensible au mensonge, perçoit qu’on lui cache des choses, et sa confiance en lui et dans les autres, et donc son sentiment de sécurité, vont être profondément fragilisés. Quel est l’impact d’un secret non révélé ? Tout dépend de la gravité du secret et du contexte. Mais dans tous les cas, le secret encombre la vie de celui qui le porte, il l’oblige à l’hyper vigilance pour ne pas se dévoiler et fausse ses relations avec les autres. La sincérité et la spontanéité sont difficiles ou impossibles, la vie familiale devient un parcours de faux-semblants et d’évitements, ou de répétitions plus ou moins dramatiques. Dans le cas d’un inceste, il y a deux ou trois porteurs : le coupable, la victime et, s’il s’agit d’un inceste d’un parent sur son enfant, il y a aussi un complice qui se tait, l’autre parent. C’est évidemment la victime qui vit dans la souffrance, la peur, la honte, la culpabilité, qui va développer divers symptômes et conduites d’autodestruction, même si, pour survivre, elle peut parfois se réfugier dans le déni. Si un secret lourd perdure dans une famille, la honte, la peur et la culpabilité impacteront la génération suivante. Sans savoir pourquoi, les descendants seront anxieux, en hyper vigilance, auront une difficulté à trouver leur place dans la vie, ils répéteront des comportements d’échec ou d’addiction, ou de maltraitance et d’auto sabotage. Comment peut-on devenir complice d’un secret qu’il faudrait révéler ?C’est malheureusement encore souvent le cas dans les affaires d’inceste. Ce peut être par peur des représailles ou de l’exclusion, la peur aussi de « faire exploser la famille », ou d’abîmer son image, mais aussi la peur de ne pas être cru ou d’être accusé. La pression peut être terrible dans une famille, sans compter que, par retournement pervers, les coupables peuvent se présenter comme des victimes, et les victimes être présentées comme des personnalités déséquilibrées ou perverses. Il se peut aussi que l’on se taise par intérêt personnel parce que le coupable est économiquement puissant, célèbre, comme on l’a vu dans différentes affaires. Il se peut aussi que quelqu’un soit complice en taisant des transgressions qui matérialisent ses propres fantasmes. Enfin, la peur de l’abandon, la relation d’emprise peuvent aussi expliquer le silence, c’est souvent le cas pour le parent complice d’inceste. Comment mener son enquête quand on a le sentiment qu’il y a un secret dans la famille ?Il faudrait commencer à tâter le terrain en parlant autour de soi. L’idéal est d’aborder le sujet sans agressivité, sans jugement, tout en insistant sur le fait qu’on a le droit de savoir, en gardant à l’esprit que cette démarche peut générer des résistances ou déclencher des comportements de défense agressifs (accusation, menaces, culpabilisation...). On peut aussi creuser la piste de l’état civil et celui de la généalogie. Il est également important de suivre son instinct, de lire entre les lignes du roman familial et de prêter attention au choix des mots employés, mais aussi des inflexions de voix de celui ou de celle qui raconte. À quoi sert une thérapie si l’on n’a pas découvert le secret de sa famille ?Si les faits manquent, le sujet va travailler dans la dimension symbolique sur sa place dans la famille et sur ce qu’il imagine de son roman familial. À travers ses rêves, l’écriture automatique, ses dessins, il va prendre contact avec son histoire, découvrir ce que son inconscient a enregistré, il pourra faire parler un ancêtre, faire des liens entre des lieux, des objets et ses émotions. Des souvenirs vont apparaître, des associations vont se faire, des blancs vont se remplir. C’est la compréhension nouvelle et l’intégration de son histoire qui lui permettront d’aller de l’avant, de vivre sa vie au lieu d’être empêché, bloqué ou condamné à l’insécurité, l’échec, l’angoisse ou la répétition. Libéré, il pourra s’incarner pleinement dans son présent et vivre enfin sa vie. Que provoque la révélation d’un secret ?Volontaire ou pas, la découverte d’un secret concernant des gens que l’on aime génère des sentiments intenses et ambivalents. D’abord, la surprise, la stupéfaction ou la sidération, puis le refus (non, ce n’est pas possible, il doit y avoir erreur ou malveillance). Enfin vient le temps du doute et la possibilité de mener son enquête ou de s’enfermer dans le déni. Dans tous les cas, les conflits de loyauté peuvent être violents et les risques de brouille ou de rupture réels, mais ces conséquences sont toujours moins toxiques qu’un lourd secret bien gardé. Comment et à qui parler du secret découvert ?Le secret n’est pas une fatalité, chacun peut y mettre fin. Pour le sortir du silence, il est important de ne pas agir sous le coup de l’émotion, de réfléchir sur ses motivations, quitte à se faire aider par un psy si l’on se sent dépassé par les événements. Une fois que l’on y voit plus clair, que l’information et les émotions ont été digérées, on peut prévenir le ou les porteurs du secret ainsi que les autres personnes concernées que l’on a quelque chose de « bousculant » à leur dire, mais que l’on se sent dans l’obligation de partager cette information avec elles. On peut se heurter à de fortes résistances, à des refus d’entendre, si c’est le cas, il est inutile d’insister. L’important est d’avoir brisé la loi du silence et la chaîne de la transmission toxique. Pour tout ce qui relève des violences, sexuelles ou autres, la parole doit évidemment sortir de la famille et être portée devant la police et la justice.
1 Comment
Joëlle
5/23/2021 09:23:09 am
J’ai lu cet article , calmement... émue...triste...quel écho en moi ...quel écho aux constellations d’hier...😢😢😢... le « Secret » nous tient comme dans un ÉTAU 😡😡😡...sur plusieurs générations 🥵🥵🥵...comment en sortir quand aucun repère ? ... pour moi, grâce aux Constellations 🙏🙏🙏🙏🙏⭐️💓💓💓💓💓💭💭💭💭💭...mais surtout, en étant Accompagnée !!!! ....
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