Notre capacité à nous illusionner sur le monde a été constitutive de notre développement psychique. Illusions et désillusions se sont succédé non seulement pour permettre une juste appréhension de la réalité, mais surtout pour donner un espoir de la changer, de la transformer. La dimension winnicottienne du secret est primordiale, l’aire d’illusion. Illusion non pas au sens de tromperie mais dans le sens de création d’un espace permettant de créer du plaisir, de donner une consistance au monde dépassant sa réalité brute, de lui donner son propre sens. Cette aire permet la mise en place d’une illusion propre à l’homme, propre à sa démarche créatrice, symbolique, à sa relation au monde. L’individu peut transformer la réalité pour se la rendre supportable, distordre les événements vécus ou subis pour pouvoir les assimiler ou pour pouvoir les partager. L’environnement premier du bébé puis de l’enfant est essentiel pour la vision et la connaissance du monde qu’il développera dans son futur. Cette liberté de pensée marque un passage décisif, celui de créer soi-même son propre sens des choses et du monde. Cette charge n’incombe plus à l’environnement : libre à soi désormais de choisir son propre destin, sa propre histoire. La capacité à imaginer, illusionner le monde tel que le bébé le désire lui permet d’utiliser de mieux en mieux son environnement. Des cris, des sourires, des gestes pour s’exprimer, mieux se faire comprendre, des paroles bientôt. L’enfant joue désormais avec l’absence en symbolisant l’absent. Ce gain d’indépendance par rapport à l’environnement est vital pour le psychisme de l’enfant. Le plaisir qu’il en tire est celui de la pensée secrète, séparée. Car cette pensée s’enrichit maintenant de tout ce qu’il perçoit comme séparé de lui, notion présente dans l’une des étymologies latines du mot « secret », secernere, qui signifie… séparer. Le nom commun « secret » vient du latin secretum, l’adjectif vient de secretus, participe passé du verbe secerno qui signifie séparer, mettre à part. De plus le verbe cerno dont il est issu a plusieurs sens qui renvoient tant sur le plan concret que sur le plan figuré à la notion de tamiser, de séparer le bon grain, de trier. Cerno a donné aussi discerner, distinguer le vrai du faux, trancher, juger, mais aussi excrétion (excerno), excrément, déchet et bien sûr sécrétion (secerno) (Lévy, 1976). Cette double valence étymologique du mot secret met donc en opposition ou en tension deux notions : garder le bon et évacuer le mauvais. Ainsi la sécrétion concerne des substratums physiologiques indispensables au bon fonctionnement du corps ; l’excrétion, le rejet du mauvais, des déchets, des substances toxiques ou inutiles. Le secret que l’on tait à autrui est un moyen permettant de porter un regard sur soi, en soi. C’est l’une des premières fonctions du secret : une protection favorisant la construction du Soi, à l’abri des regards. À l’abri des regards en raison de la jouissance secrète qu’éprouve l’enfant à manipuler sa propre pensée. Extrait du livre "Eloge des secrets : illusions, soi et transformation." de Pierre Levy-Soussan page 119.
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AuteurElisabeth BAZIN, Archives
February 2025
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