Quand, au début du XXe siècle, Sigmund Freud a déclaré qu’une partie du moi était inconsciente et ne saurait devenir consciente, il s’est aussitôt attiré les critiques de ses confrères neurologues et psychiatres. À cette époque, en effet, la plupart des spécialistes des troubles mentaux posaient que seuls les névrosés ont un inconscient, conçu alors comme une pathologie cérébrale. Depuis la célèbre affirmation de Descartes, « Je pense donc je suis », tout penseur avait la certitude que celui qui dit « je » est un être pleinement conscient. La théorie freudienne ne pouvait donc qu’être fort dérangeante, en proposant sa vision de l’humain irrémédiablement coupé de lui-même. Le moi, loin d’être le maître dans sa propre maison, est un cavalier instable emporté par le galop d’un cheval fougueux. L’individu est « une pauvre créature soumise à une triple servitude et vivant sous la menace d’un triple danger : le monde extérieur, ses élans intérieurs et la sévérité de sa conscience morale, le surmoi, lui aussi en partie inconscient », écrit Freud en 1923 dans Le Moi et le Ça (Points, “Essais”). L’image est effrayante, elle décrit pourtant la complexité de nos vies, le bouillonnement de nos passions. Elle nous permet de comprendre pourquoi nous ne sommes jamais aussi bons, aussi justes que nous le souhaiterions, pourquoi nous nous égarons si souvent dans nos amours ou dans nos choix professionnels.
Beaucoup ont peur d’explorer leur part cachée, persuadés d’y trouver des révélations atroces. Or l’inconscient n’est pas notre ennemi, il ne nous veut ni bien ni mal. Les vérités que nous en tirons résultent en fait d’un travail de construction : entreprendre une thérapie nous rend romanciers, poètes. Il s’agit de lâcher prise et de se laisser porter par des sons, des images et des associations d’idées qui nous mèneront vers une meilleure compréhension de notre histoire personnelle. Et l’inconscient ne gît en aucun lieu particulier, bien délimité. Il est partout et nulle part : c’est notre corps, et les symptômes psychosomatiques qui l’assiègent parfois ; ce sont les souvenirs déformés, de l’enfant que nous avons été ; les bribes de mots que nous avons enregistrées alors que nous savions à peine parler. C’est encore la mémoire obscurcie de comportements de l’enfance qui, autrefois, nous apportaient plaisir et satisfaction et qui, à l’âge adulte, perdurent, en nous procurant surtout des ennuis. Ce sont les paroles de nos premiers autres – le père, la mère –, qui nous marquent à jamais, à notre insu, et dont nous souhaitons souvent nous libérer. L’inconscient, ce sont aussi les oublis d’événements marquants qui nous empêchent de trouver du sens à notre vie. L’explorer, c’est reconstruire le passé, pour mieux se connaître et/ ou changer et se réconcilier avec soi-même. Aujourd’hui, ce sont les sciences du cerveau et la psychologie cognitive – qui conçoit l’esprit humain comme un dispositif de traitement des informations – qui se penchent sur ses mystères. Et elles constatent, elles aussi, que la plupart de nos décisions et de nos actions sont influencées par lui, qu’il s’agisse de voter pour un candidat aux élections, de choisir un lieu de vie ou d’acheter une nouvelle voiture. Alors que nous nous croyons libres et indépendants, nous sommes déterminés, à notre insu, par des croyances, des jugements de valeur issus de notre culture d’appartenance, même quand nous imaginons en être débarrassés. Des tests universitaires ont montré que si l’on demande à un sujet d’associer des visages et des qualités (gentil, méchant), un Blanc mettra presque toujours plus de temps à associer Noir et gentil que Noir et méchant. Prendre conscience de ces automatismes aide à réduire les préjugés. L’inconscient ainsi conçu ne se déchiffre pas, il n’est pas porteur de messages, il ne véhicule pas nos désirs profonds, comme celui de Freud : il permet au cerveau, qui apprécie de fonctionner en pilotage automatique, comme le constatent les neuroscientifiques, d’être plus rapide et de se fatiguer le moins possible. Pour l’essentiel, nos perceptions, notre vision, notre audition se passent de la conscience. Les actions d’un bon joueur d’échecs se décident sans elle, de même que certaines opérations mathématiques. Plus exactement, loin de s’opposer, la pensée consciente et les processus inconscients coopèrent. « C’est d’ailleurs cette collaboration qui permet aux êtres vivants de survivre, note Stanislas Dehaene, professeur de psychologie cognitive, dans Le Code de la conscience (Odile Jacob). Chaque événement qui survient doit aussitôt être classé côté positif – ce n’est pas dangereux – ou négatif – danger en vue, fuyons. Nous ne pouvons rester vigilants en permanence, aussi ce sont des circuits cérébraux qui échappent à notre contrôle qui nous alertent. » Lorsque nous butons sur un problème, la meilleure solution est justement de cesser d’y penser, et, comme par miracle, l’idée de ce que nous devrions faire survient. C’est souvent le cas lors d’une nuit de sommeil, à la faveur d’un rêve. En effet, cette période d’intense activité inconsciente permet un traitement plus dense des informations. Selon le neuroscientifique et psychanalyste Mark Solms, auteur avec Olivier Turnbull du Cerveau et le monde interne (PUF), la conscience ne constitue qu’une partie de notre vie intérieure. N’apparaissant que quand les automatismes inconscients ne suffisent plus à nous satisfaire, elle surgirait comme un coup d’arrêt à l’état de douce inconscience, notre état préféré. Dans les années 1980, les neuroscientifiques ont vainement cherché le siège de l’inconscient. Ils s’accordent actuellement à considérer que toutes les régions du cerveau peuvent participer tantôt à la pensée consciente, tantôt aux opérations mentales inconscientes. Comme Freud l’avait pressenti… article de Isabelle Taube
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