C’est une impression de vide, une vague tristesse sans cause réelle qui nous serre le cœur. Autour de nous, les gens discutent, rient, semblent si bien s’entendre. Mais impossible de partager leur joie : leurs centres d’intérêt paraissent tellement éloignés des nôtres, nous nous sentons incompris, comme si une cloison de verre nous tenait à l’écart. Nous sommes semblables et en même temps si différents, si proches et simultanément si loin. C’est le paradoxe du sentiment de solitude. Nous ne l’éprouvons jamais autant qu’en compagnie des autres. Quand nous ressentons la distance qui nous sépare d’eux. Il se saisit de nous au milieu de la foule anonyme. Il pèse sur les couples qui ne savent plus quoi se dire ou dont les trajectoires de vie ont trop divergé. Il nous fait craindre les repas de famille quand on est perçu comme le marginal, le mouton noir, ou que l’on ne parvient pas à adhérer aux valeurs du clan familial. Les liens ne nous nourrissent que s’ils ont un sens. Dans le cas contraire, ils nous emprisonnent sans remplir notre vide intérieur. Les travaux de John Cacioppo (1951-2018), pionnier de la recherche en neurosciences sociales, prétendent éclairer ce mystère. Trois traits de personnalité spécifiques se retrouveraient chez ceux que le sentiment subjectif de solitude accable plus particulièrement : un intense besoin de reconnaissance et d’approbation, une grande peur d’être hors normes et, enfin, une difficulté à se raccrocher à des pensées et des activités réconfortantes dans les moments de passage à vide ou quand ils sont réellement mis à l’écart. En outre, ils émettraient souvent à leur insu des signaux susceptibles d’éloigner les autres – ils sourient moins, tendent à se montrer agressifs, susceptibles, quand ils devraient au contraire composer avec l’environnement. La maladie chronique, invalidante, qui nous coupe des bien portants et empêche de profiter des plaisirs de la vie, de ses distractions, accroît également ce sentiment pénible, que les deuils, les cassures, les épreuves ravivent tout autant. De même que certaines périodes de l’existence : l’adolescence en particulier, où le corps en pleine mutation déclenche un grand chambardement ; les débuts de l’âge adulte, où l’on hésite entre fusion avec l’autre et besoin de se distinguer ; et, bien sûr, la vieillesse, où naît l’impression déstabilisante que le quotidien ressemble de moins en moins aux décennies passées, tandis que les amis disparaissent. L’image que nous avons de la solitude pèse également sur notre façon de la ressentir. Plus elle nous effraie, plus nous vivrons mal ses inévitables apparitions. La perception qu’a d’elle notre société – qui la fait rimer avec asocialité, égoïsme, échec – ne nous aide en rien à l’apprivoiser.
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AuteurElisabeth BAZIN, Archives
March 2025
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